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Le petit muséee

LE MUSEE.

 A peine franchie la porte, l'atmosphère vous prenait à la gorge , acre , étouffante , angoissante. Le petit musée avait pourtant été balayé, épousseté, aéré pendant quelques jours avant l’ouverture. Cependant l'air restait lourd , un peu humide , un peu moisi, comme saturé de poussière et de silence , comme rempli d'une sépulcrale- et inquiétante absence .  Le petit musée sentait le vieux cercueil , le tombeau violé après des siècles et des siècles d'oubli .

En face de la porte , à trois ou quatre mètres à peine , le regard se heurtait au mur du fond de l'anti­chambre , tendu d'un tipais tissu vieux rose , passé ,gor­gé de fade poussière . au milieu du panneau était suspendu le principal tableau de la. collection : un papillon d'un demi?mètre d'envergure exposait au visiteur la face supérieure de ses ailes où de vastes plages d'un chaud violet brillant étaient pénétrées de larges volutes noires , parsemées de fins reflets d'un blanc vif . La peinture éclatait de frai­cheur , irradiait une luminosité étrange , paraissait grosse de forces vitales prêtes à exploser dans la pénom­bre de ce terne antichambre . Le papillon était prisonnier d'un lourd cadre de bois brun   du même brun que les solives de chêne , au plafond . Le sol était habillé d'un parquet plus clair qui grinçait douloureusement au moindre pas .

                        De chaque côté du tableau, le mur épais était creusé d'une porte basse .

L'éclairage parvenait de la droite par une longue fenêtre, située au dessus    du regard , faite de nombreux carreaux translucides . En face ? le mur de gauche était nu . Nous étions sept visiteurs : le conservateur , sa cousine et ses deux filles , deux jouvenceaux timides et moi .

Le petit musée, comme on l'appelait en ville , était la maison où le peintre Jules Macheneux avait vécu toute sa longue existence . Il en avait fait don à la Ville         à condition qu'à sa mort on y exposât ses œuvres pour le bonheur des visiteurs. La première année avait attiré une trentaine de curieux . Depuis ... La clé était chez le concierge, de la mairie de l'autre côté de la place, mais personne ne l'a­vait , depuis lors , demandée .

Cette année, nous nous devions d'honorer le cin­quantenaire de la mort du peintre . Et en ce premier Diman­che de Janvier nous étions les premiers visiteurs les premiers de rares visiteurs sans doute. Nous passons dans la pièce suivante, puis dans une troisième . Sur les murs sont ac rochés des bouquets-champêtres des nature-mortes au pichet de vin le bois de la Malembert au coucher du soleil , le bois de la Malembert à l'automne , le bois de la Malembert et les chasseurs la biche dans le bois de, la Malembert , l'église Saint-Gratien à Noël , la sortie de la messe à l'église St Gra­tien Place du Marché le Jeudi matin, l'Hôtel de Ville, la maison du peintre , la mère du peintre ... Sous des vitrines , les croquis -champêtres du peintre .

Nous processionnons silencieusement, lentement mais sans pause , à travers le musée .

Dans la dernière pièce, nous devons contourner un vieillard assis sur le bord d'une chaise cannelée.. Maigre… assez vouté, le visage sans expression d'un homme peut-être désormais au delà de la joie et de la tristesse. Peut-être     

            Son regard terne nous suit lentement, semblant nous poser une question inquiète , semblant guetter Une lueur d'intérêt .

Le conservateur chuchote :"C'est le peintre ..." Chacun le répète à voix basse à son voisin.

"C'est le peintre ».

Nous rejoignons la sortie. La lourde porte referme bruyamment sur le peintre et son oeuvre le silence et l’obscurité.

Descendant les deux marches du perron, nous re­gardons en silence la petite place de l'hôtel de Ville . Il est quatre heures l'heure la palus lente de l'après -midi , l'heure du creux immobile de la vague , l'heure li­vide où la journée parait mourir . Le ciel, uniformément gris , est immobile; les ramures noires des platanes de l'hiver sont immobiles .

Tout à l’heure, à la sortie du cinéma , un spectre de vie traversera frileusement la place; fera tinter un instant la porte du café ,fera claquer quelques godasses sur le chemin glacé qui va vers les faubourgs .

Et puis le lourd crépuscule cotonneux de l'hiver viendra lentement nous étouffer.

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