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LE SENTIER RETROUVE

LE SENTIER RETROUVE

 

" Oui ; cette petite encoche sur le bord du champ, c'est bien le stigmate de notre vieux sentier. Dans son prolongement d'ailleurs, sous les labours, on devine, plus qu'on ne voit , une légère dépression qui file rectiligne vers l'horizon . A l'autre extrémité du champ, son parcours est souligné d'un petit buisson d'épines noires (nous leur donnions le même nom dans notre langue).

Juste au-delà, la trace disparait sous les remblais de l'autoroute. Elle reparait ensuite presque aussi visible qu'autrefois et va s'enfoncer dans le petit bois de chênes sur la butte que je connais bien.

« Oui ; c'est bien ici .Les courbes des collines au lointain me sont familières. Me voici enfin de retour chez moi ».

Au coin du champ, un Agriculteur s'affairait près de son tracteur . L'homme le regarda. avec sympathie. Cette bonne tête ronde, ces grands yeux clairs, ce type de visage, je les reconnais.  Notre race, assurément , n'a point déserté son terroir .

 

" Dites-moi, on peut couper par là pour gagner le petit bois ? "

L'Agriculteur le regarda, fermant à demi ses paupières ; à cause du soleil sans doute.

"Oui .Vous traversez mon champ et ensuite l'auto­route. Mais attention c'est dangereux. Les voitures rou­lent beaucoup trop vite. Et plusieurs , en pleine ligne droite         sont parties dans le décor. Toujours juste à cet  endroit là. Et toujours à peu près vers onze heures du soir. C'est bizarre «.

Vers onze heures du soir ? Je crois en savoir la raison. Je ne la dirai évidemment pas . Ce brave homme penserait que je suis fou. Mais, onze heures ... C'est à peu près à ce moment là que Grande Gueule et bonne Buche reviennent de la chasse. Ils doivent être furieux de voir enseveli sous l'autoroute leur sentier coutumier, plusieurs fois millénaire. Et si, comble d'injustice, leur parcours est encombré de ces bolides,  nul doute qu'ils vont les traiter sans pitié.

" Je vous remercie ; je traverserai prudemment. Et le raccourci abrégera singulièrement mon trajet ".

L'Agriculteur regarda partir l'Homme ; qui lui plaisait bien , en qui il sentait quelque chose de familier, malgré son accent si étrange venu d'on ne sait où, d'on ne sait quand.

" Sûr qu'en arrivant dans le petit bois, il va tomber sur la Josiane Cainzou que j'ai vu monter par là. Peut-être bien qu'il va pas s’embêter, ce gars-là tout à l'heure " .

Avec un petit soupir de regret d'impatience (la Josiane, il se la coincera bien un de ces dimanches), l'Agriculteur relança son tracteur vers de nouveaux labeurs.

L'Homme, avançant à uns lents dans la glèbe épaisse, se laissait envahir par l'intense émoi que lui procurait le retour au p-lys de ses pères, par le plaisir de retrouver, à chaque profonde inspiration      les parfums t,'-nus qui perduraient sur cette terre depuis tant et tant de siècles.

Son regard retrouvait les mêmes herbes folles, les mêmes ronciers, les mêmes robiniers, et, là bas , quelques vieux ormes qu'il savait bien n'avoir pas pu connaitre ressemblaient tant à ceux qui vivaient presque au même endroit il y a si longtemps.

Certes les prés étaient plus grands et plus riches, certes les forêts du lointain avaient rapetissé.

Et surtout , hélas , il y avait ce maudit ruban de bitume sur son socle de terre , cette auto- route qui avait ravagé le pays bouleversant et ensevelissant ces subtiles structures que les longs efforts des hommes avaient patiemment dessinés sur la vallée : les longs sentiers rectilignes rayonnant de hameaux dont le souvenir était depuis longtemps disparu , les champs gagnés lentement sur les broussailles et les forêts , les remparts des talus judicieusement opposés aux vents dominants , les bornages , les puits cachés. Près des saules ...

Et 1’autoroute détruisait  tout cela, le recouvrant de ses monstrueuses collines de remblais que, après plusieurs années, la végétation osait à peine occuper ...

Au delà, cependant, sur la pente de la colline, le pied retrouvait le sol ferme du sentier des ancêtres, il devinait en profondeur le pavage en hérisson, les lourdes pierres fixées debout, dressées en tranche ; il constatait l'absence d'ornières profondes, de fondrières ; il écrasait les herbes rares et poussiéreuses. Il éprouvait ce plaisir viscéral de fouler ce sol jamais oublié, durci et modelé par des millions de pas.

Le chemin s'enfonçait maintenant entre d'épais talus buissonneux marquant la lisière de deux champs ; quelques fleurs ça et là ; mais peu d'insectes à l'encontre d’autrefois, plus de papillons, bousillés par le D.D.T.

« N’empêche, qu'on est bien; et qu'il fait doux et chaud. Et quel bonheur de bientôt disparaitre parmi les miens.

" Et comme j'aimerais rencontrer par ici une belle fille, de cette époque ou bien d'avant , mois une fille de notre pays, une solide fleur des champs aux jambes poilues ,et non pas une de ces ternes femmes molles ou amaigries qui m'ont tristement contenté dans les grandes villes , dans ces capitales qu'on croit des ville- lumières...

 

Pendant huit jours au moins, Josiane Cainsou est  revenue dans le petit bois quand le soleil état au plus chaud pour attendre eue surgisse peut-être le beau garçon aux yeux rêveurs et un peu fous , qui l'a culbutée si brutalement et qui, à la nuit tombante , l'a quittée sans un mot , s'est enfoncé dans le sous-bois sur une trace que ne fréquentent plus que lièvres et renards .

Elle l’a suivi en pleurant, agrippée par les basses branches des coudriers, déchirée par les fortes ronces des. sous-bois.. Et  lui, de plus en plus loin  devant, semblait progresser sens contraintes

Et puis soudain il a disparu devant elle, en un instant. Et la mémoire de Josiane ne sait plus qu'imaginer: a-t-il, là, tout de bon disparu ? S’est-il, comme un fantôme, évaporé de notre monde ?

Ou bien, profitant de l'obscurité presque totale a -t-il su s’enfoncer dans un sous-bois plus épais , ou rouler dans quelque ravin ?

 

 

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