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Lettre de Maxipolis

 

LETTRE DE MAXIPOLIS .

 

MAXIPOLIS le X Avril XXXX

A mon Créateur , à Notre Dieu à tous (ou à mon petit dieu personnel, qui sait?)

" Je viens d'aborder aux rives de ma cent troisième année .

Je suis seul. Tous les miens ont disparu, et tous mes amis et tous les êtres qui ont peuplé mes vies successives: l'enfance , mon adolescence,  mon âge mur et mes vieillesses .

Et les mondes où j'ai vécu aussi ont disparu. Et si je regarde autour de moi, l'univers où je suis m'est étranger, m'est si étrange, Mon Dieu , pourquoi me faites -vous tant attendre ?

Je n'aime pas mon nouvel appartement. Pourquoi cet absurde décor chinois d'opérette , ces coussins profonds , ces jades, ces nacres , ces dragons sculptés , ce paravent laqué , ce petit brûle-parfum cabossé dans la table de nuit ?

Pourquoi cette table basculée, cette vitrine brisée, ces livres calcinés? Pourquoi ce parquet brulé ? ces conserves entamées, ce sac de fantassin taché, ces douilles abandonnées, ce cigare mâchonné , ce cognac renversé ? Quel soudard éperdu m'a-t-il précédé là ?

Par la porte-fenêtre encore ouverte s'engouffre le vent noir qui bouscule violemment l'énorme lustre sphérique de papier multicolore.  Je suis sorti sur le balcon qui enserre la tour. Tous les autres appartements sont fermés, plongés dans l'obscurité . Je suis seul ici, mon Dieu . Le balcon est si étroit que deux personnes ne pourraient s'y croiser que si l'une s'aplatissait contre le mur, que si l'autre osait s'appuyer au garde fou , si bas que sa rambarde s'incrusterait à la saignée des genoux, si fragile que ... Pourquoi ce dérisoire garde?fou au cent troisième étage, mon Père ?

Le vent noir remue des nuées sombres ; les lumières de la ville sont si rares, si fragiles, si lointaines, tout là –bas, en bas… fait froid, mon Dieu .

Je ne resterai pas ici, j'ai décidé de partir. Non par l'ascenseur où vos sbires auraient tôt fait de m'empoigner et de me ramener ici. Non, je sortirai par l'escalier que personne ne prend jamais .

Pas pour monter vers vous, mais pour redescendre, mon Père , pour redescendre .

J'ai entrebaillé, tout-à -l'heure , la porte de l’escalier. Son air fade m'a agrippé la gorge ; son silence effrayant , qui vient des entrailles de la terre , est si intense que le bruit de ma respiration en était monstrueux. Ses marches de béton sont larges et hautes ; sa rampe est un tube métallique noir étroit comme un doigt . Le ciment gris est peint en gris à la partie inférieure du mur, en jaune sale au-dessus . A chaque tour de spire , un lumignon médiocre sous un grillage épais . J'ai peur , mon Dieu, mais je descendrai tant que je pourrai . Je ne sais pas où j'irai , où je mourrai et quand . Mais je ne veux pas vous voir , mon Dieu .

Nous sommes Vendredi soir très tard ; la dernière levée du courrier est faite Lundi est jour férié . Vous ne recevrez donc cette lettre que Mardi . Je serai loin . Je ne vous dis pas adieu , mon Dieu , mais à jamais ".

Dieu reposa lentement la lettre , ses yeux se mouillaient ("Il pleure bien souvent sans raison depuis quelque. temps " et les anges hochaient la tête d'un air entendu). Dieu songeait :

"le malheureux ...

Comme a du lui être cruelle cette descente insensée ! dans ce silence , cette absence , ce vide sordide. Et sans doute a-t-il enfin rejoint les cadavres des autres, de tous ceux qui comme lui ont fui . Mon Dieu ! (dans la sublime bouche , ce tic verbal est vidé de toute signi­fication ) ,mon Dieu , quel épouvantable destin . Pourquoi, pourquoi m'ont-ils abandonné ? "

 

 

 

 

 

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