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L’HISTOIRE DU MALHEUREUX GASTÉROPODE SAUVÉ PAR LA POP-CULTURE

Le résultat d’un exercice fait en atelier d’écriture où on en demande d’écrire une histoire séances de 15-20 minutes, les consignes du récit étant données à chaque début de séance. Les titres et l’épilogue ont été ajoutés après-coup.

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L’HISTOIRE DU MALHEUREUX GASTÉROPODE SAUVÉ PAR LA POP-CULTURE

Un lent départ

Il n’aurait pas su donner la date. Il n’aurait pas su donner l’heure non plus. Il n’avait pas de montre à son poignet pour la malheureuse raison qu’il n’avait pas de poignet. Il ne savait pas son nom, sa mère ne le lui avait pas dit. Il faut dire qu’il était parti jeune et qu’il était maintenant loin. Accroché à ce mur en crépi, il adhérait de la façon la plus baveuse possible comme il avait appris à le faire. Et quand il dressait ses antennes, certains parlent de cornes, et qu’il les tournait adéquatement vers son origine, il pouvait voir sa mère, sur le mur également, à environ 1,50 mètre de lui ; autant dire un espace infini qu’il ne pourrait jamais parcourir même s’il l’avait voulu. Et en plus, il ne voulait pas ! Il voulait aller de l’avant ! Mais y aller dans l’honneur de ceux de son espèce, le plus lentement possible. Et on peut dire qu’il était lent ; et quelle fierté il en tirait ! D’autres escargots l’avaient doublé et ne pouvaient faire autrement, malgré leurs efforts, car il n’y avait pas plus lent que lui. Il n’avait pas de nom mais il savait qu’il représentait l’avenir de son espèce. Il imaginait avec fierté ce que serait un peuple d’escargots lui ressemblant.

L’aboutissement fatal de l’eugénisme          

Un peuple entier lui ressemblant ! Oui, mais avec qui le faire ? Les escargots sont hermaphrodites et lorsqu’ils se rencontrent la guerre des sexes est impitoyable. Celui des deux qui saura planter son dard injecte des hormones stimulant les organes femelles chez sa partenaire. Mais qu’il soit mâle ou femelle notre personnage n’acceptera jamais d’affaiblir son potentiel avec un ou une autre. Personne n’est aussi lent que lui ! Perdre ses gènes avec un autre qui lui sera de toute façon inférieur, ce sera dégrader la race.

Et ce choix, cette obligation plutôt, d’être mâle ou femelle, quelle contrainte ! Quelle entrave à sa liberté fondamentale ! La réponse germa doucement, tout doucement, dans son esprit. Il faut dire que si les escargots sont lents, leur esprit l’est plus encore. Pour mener sa mission à bien, il n’y a qu’une solution, l’autofécondation. L’affaire ne sera pas simple à effectuer et il lui faudra se darder lui-même, s’hormoner lui-même, se faire l’amour à lui-même. Puis il lui faudra atteindre son orifice génital qui, comme chacune le sait, se situe derrière la tête. Mission difficile ! Mais une fois cela accompli, il pourra donner naissance à quarante, soixante, quatre-vingts œufs qui donneront des petits lui-même et qui eux-mêmes donneront d’autres petits lui-même. Et non seulement il donnera naissance à l’espèce dominatrice mais, en plus, il atteindra l’éternité !

La domination n’est jamais que provisoire

            Il était là ! Seul ! Et si bien entouré ! Entouré de ses clones qui se multipliaient et se multipliaient. Et voilà qu’il ou elle (il ou elle tout seul ou ils-elles au pluriel) se mit à couvrir l’ensemble du mur. Il se sentait si bien, mieux que bien, enivré de l’odeur du crépi, des feuilles imbibées de pluie, du lierre qui lui faisait concurrence et du pétrichore après la pluie (il venait d’apprendre le mot et n’était pas peu fier de pouvoir le replacer). Et cela semblait pouvoir durer éternellement, jour et nuit, été comme hiver.

Pourtant cela ne dura pas. Le changement se fit lentement, ce qui n’était pas pour lui déplaire, lui qui honore tant la lenteur. Mais le changement se fit en passant d’abord par une légère modification des odeurs : un peu moins d’odeur de vase et de pluie, un peu moins de sensations visqueuses. En échange, l’air se fit plus sec et les odeurs plus âcres. La température montait insensiblement. A ce moment, lui et ses semblables avaient colonisé le mur et n’avaient que les lierres pour voisins. La puissance de son inertie avait obligé les autres escargots à fuir le mur et à se réfugier sous les plantes alentours. La température augmentait, le mur s’asséchait et il devint de plus en plus dur d’y adhérer. Et…Plop !... l’un après l’autre…Plop !Les escargots décrochèrent…totalement asséchés. Autour de lui, tous ses lui-même basculèrent dans le vide…à au moins trois mètres. La chute était mortelle et inéluctable et les coquilles n’y résistaient pas. De toute façon, ils mouraient asséchés avant même de décrocher…

La sélection est parfois douce

            Il fut bientôt le seul à rester adhérant au mur. Mais était ce lui ou un autre lui-même ? Au fond cette question existentielle ne l’intéressait pas. Ce qui l’embêtait en revanche c’est qu’il était seul. Où était son armée de semblables ? Sa cohorte d’escargots si lents et prolifiques qu’ils n’avaient pour

destin que de conquérir les quatre murs de la maison. Et le voila seul ! Seul et désolé ! Serait-il capable de tout recommencer ? De s’autoféconder à nouveau ? De refaire un peuple de lui-même ?

Ses semblables ayant tous décroché, le mur fut à nouveau libre et le crépi blanc perça sous les lierres. Puis arrivèrent un à un ces escargots inférieurs, ceux qui ne savaient pas aller lentement ; ils quittaient prudemment les ombres des plantes adjacentes au mur pour venir se prélasser sur le mur. Sentir la caresse du soleil n’était pas si désagréable à condition de savoir partir à temps pour retrouver l’ombre protectrice des feuillages. L’un d’eux s’approcha. Lui se sentait si seul qu’il accepta la présence d’un inférieur et il se passa ce qu’on peut imaginer : le dard, les hormones, la transmutation femelle, le trou dans la tête,….je fais silence la dessus. Les rejetons ne tardèrent pas à apparaitre. Il les regarda d’abord avec un peu de mépris : ils étaient si peu lents, indignes d’une race dominatrice…oui, mais eux au moins savaient se protéger du soleil quand il était temps.

Il finit par regarder ses enfants avec une certaine tendresse puis un jour il décrocha. Sa coquille rejoignit l’amoncellement de ses semblables au pied du mur… Le vieil homme sortit de sa maison. Il ramassa les coquilles cadavériques pour les broyer et les incorporer à la terre. Cela pousserait bien. Il regarda les autres escargots accrochés au mur, souleva quelques feuilles pour taquiner ceux qui s’étaient cachés. Le mur était en paix. Il y avait du calme et du silence. Tout allait bien dans le jardin.

Rencontre avec Freud

L’escargot se trouvait donc gisant au milieu des coquilles ressemblant à des casques de soldats. On aurait dit un cimetière militaire ou un restant du chemin des dames. On dit qu’au moment de mourir toute votre vie repasse devant vos yeux. Affirmation pour le moins surprenante puisque seuls les morts pourraient en témoigner. Mais acceptons !! Et toute sa vie d’escargot se déroula devant ses cornes. Il remonta lentement le cours de son existence dans un mouvement véritablement freudien. Mais la remontée fut lente. Il se vit émerger de la pelouse pour s’accrocher à nouveau au mur. Il se revit se féconder tant et tant de fois, avec un peu de regret pour cette vie partagée et aujourd’hui enfuie. Il se vit progresser à l’envers et retrouver sa mère qui aurait pu être son père si elle avait été plus agressive et avait planté son dard dans celui qui était censé être son père. Parmi toutes les difficultés qu’il a connues, résoudre son Oedipe n’a pas été la moindre. Enfin, il se revit rentrer dans sa coquille…loin… très loin au fond de celle-ci, dans le noir et le silence  Et puis quoi ? La vie d’un escargot est si courte mais passe si lentement qu’elle confine à l’éternité… et par la même à l’immortalité. Et il comprit alors qu’il n’était nul besoin, de s’autoféconder, croitre et se multiplier pour atteindre le pouvoir, la domination et l’universalité. Il suffit d’être là, au fond de sa coquille, de ne pas bouger d’un…d’un quoi d’ailleurs ? Bouger d’un poil, bouger d’un membre,… tout cela ne fonctionne pas. Bref, il lui a suffi de ne pas bouger pour créer son environnement, son espace, son univers et d’être éternel.

Sauvé par la pop-culture

            Il avait beau s’imaginer revenir dans sa coquille, accroché au mur près de sa mère, la réalité était bien là. Il n’était qu’une coquille au milieu de centaines de coquilles amoncelées, de centaines de lui-même dans le jardin de Darwin. Le jardinier écrasait soigneusement ces coques qui serviraient d’engrais et la binette s’approchait dangereusement. Il sentait bien que la fin était proche. Quand, tel un « deus ex machina (la technique est facile pour un écrivain dans l’impasse) tel un « deus ex machina », une voix d’enfant retentit.

- Écrase pas celui-là Papy ! Laisse le moi et laisse-moi l’autre à côté !

Évidemment Papy accéda à sa demande ? Tant que le gamin a de quoi jouer il ne sera pas dans ses jambes. Le gamin tendit deux escargots à bout de bras et se mit à courir.

  • Vroum ! C’est les vaisseaux interplanétaires de l’armée de StarWars ! Toi tu seras Dark Vador et toi tu seras Princesse Leïa , cria l’enfant en tendant alternativement son bras droit et son bras gauche.

Waah ! L’escargot n’en revenait pas ! Jamais il n’aurait imaginé que la vitesse puisse être si grisante et il sentait le vent sur ses cornes…. « Gé-ni-al !! »

En face de lui, dans l’autre main de l’enfant, un autre escargot surgit de sa coquille.

  • Hey ! C’est trop fun ! Tu trouves pas ?
  • Oh oui ! répondit-il. C’est super ! En plus maintenant j’ai un nom !
  • C’est quoi ?
  • Je suis Dark Vador !
  • C’est qui ?
  • Je ne sais pas trop !

A ce moment, l’enfant tourna l’escargot vers lui et clama :

  • N’oublie pas que je suis ton père !

Et il ajouta :

  • Et que tu es mon fils !
  • Enfin !! dit l’escargot. Enfin…. Ma quête touche à sa fin !

On le sait, la quête du père est essentielle chez les escargots. L’enfant s’arrêta…posa Dark Vador, puisque tel est son nom, sur une pierre et Princesse Leïa sur une autre pierre à deux mètres de là.

  • Ca c’est trop fort ! dit Dark Vador. Maintenant que j’ai un nom et que je sais quel est mon sexe. Maintenant que je fais connaissance avec une escargote dont je sais qu’elle est femme et qu’elle s’appelle Princesse Leïa, me voilà séparée d’elle.

L’amour ! Toujours l’amour ! Et Princesse Leïa qui le regardait de là bas avec ses antennes enamourées ? Dark Vador ne fit ni une ni deux et commença à descendre de la pierre aussi vite qu’il le pût. La quête de lenteur est une ambition maintenant bien morte !

L’enfant cria à sa petite sœur :

  • Viens voir Fanny ! Dark Vador va rejoindre sa fiancée.

La petite se précipita… elle aimait tant les histoires d’amour. Et Dark Vador forçait l’allure pour rejoindre sa princesse. C’est maintenant le seul objectif de sa vie et il le sait… cette vie n’aura plus de fin…plus de fin…

Épilogue

C’était l’histoire de l’escargot saoulé de rêves de domination et sauvé par la Pop-Culture. Certains pourraient y voir un pamphlet sur la non-binarité, il n’en est rien ! C’est juste une histoire pour amuser.

PS : une curieuse coïncidence ! Quelques semaines après avoir écrit ce texte, j’ai pris connaissance du livre «Tu es une bête, Viskovitz » d’Alessandro Boffa, publié en 1998. Un des chapitres raconte l’histoire d’un escargot et se termine ainsi « Comme dans les contes de fées, l’amour triomphait. Mais cette fois il n’y aurait pas de fin. Il n’y aurait jamais de fin ». A comparer avec la fin de mon texte : « elle aimait tant les histoires d’amour. Et Dark Vador forçait l’allure pour rejoindre sa princesse. C’est maintenant le seul objectif de sa vie et il le sait… cette vie n’aura plus de fin…plus de fin… »

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