PUE-LA-MORT

PUE-LA-MORT

 

Dans leur langage qui ne comporte sans doute pas deux cent mots , le vocable qui désigne le soleil signifie littéralement: pue-la-mort.

Eux-mêmes s'appellent les Algues. Comme elles, ils vivent de l'eau ,ils vivent dans l'eau . Ils nagent plus qu'ils ne rampent, ils rampent plus qu’ils ne marchent. Ils se nourrissent des visqueux animaux primitifs qui se lovent dans les vasières ,des plantes fades qui pourrissent lentement sur le bord des étangs , de baies gluantes ,de racines gorgées d'eau , de poissons crevés , d'oiseaux tombés. Ils se terrent sous de lourds et bruns roseaux pois­seux ou dans les énormes racines distordues de gigantesques saules.

Quand le vent hurle plus fort , quand ]es nuages sent plus gris encore quand l'infinissable pluie redouble , ils se roulent au sein de bourbes onctueuses, de glaises avides, geignant de bonheur , dans la lente plainte rauque d'une jouissance moins qu'humaine. Ce sont des êtres d'eau et de fange qu'on imagine, avec peine , cousins , cousins mordides , des sirènes pélagiques et des femmes-vouivres des torrents .

Rarement le soleil, le soleil maudit ,apparait, souvent terni de nuages effilochés. Tous alors se cachent, au plus profond des fondrières           au plus sombre des sombres caches sous la rive.

Tous restent immobiles, inquiets, apeurés, attendant que le ciel se referme, que la vante rassurante des lourds nuages revienne. Le soleil lentement traverse les brumes, absorbe doucement leurs vapeurs de plus en plus ténues, assèche les petites flaques, affermit peu à peu l'humus.

La doucereuse chaleur s'infiltre dans les sous-bois , glisse sur les eaux , traque les hommes en leurs plus secrets refuges. Des oiseaux se mettent à chanter, cristal dans le silence lourd .

Alors il ont toujours un jeune enfant ignorant , capable ,à peine ,de marcher , qui va pousser de joyeux cris, qui va rire , qui va ,maladroitement , courir vers la lumière, vers la tache claire qui semble jouer là-bas sur l'herbe embellie . Personne ne l'a retenu , personne ni père , ni mère, ni frères .

            Quand le soleil caresse ses minces épaules, alors les plus vieux , hurlant leur victoire et leur terreur , se précipitent sur lui , effacent de son visage et de son torse , les rituels dessins de boue et l'emportent sur cette petite colline rocheuse là-bas , sur la butte des malédictions. L'herbe y est rare , la mousse clairsemée et grisâtre ; il n'y a pas d'arbres, il n'y pas d'ombre. Brutalement fixé per des lianes aux pieux sacrificiels, le dos au sol , la face plongée dans le ciel , l'enfant qui courait heureux vers la lumière , vers la chaleur , est là, offert pour des jours , pour de longs jours jusqu'à ce que le soleil accepte l'offrande , jusqu'à ce que le soleil disparaisse , reformant le rideau gris au dessus du monde apaisé.

Les hommes alors ressortent de leurs ombres et vont rechercher l'enfant , souvent petit cadavre noirci et desséché  parfois encore rouge plaie geignante . Ils l'em­portent  jusqu'a la berge et le jettent au loin dans l'étang, dans le dieu-étang.

S'il est encore vivant , s'il barbotte , hurlant, vers ses parents , ceux-ci , doucement , inlassablement le repoussent vers le creux profond où git le cœur des eaux ; inlassablement .... Des siècles et des siècles durant, toujours le soleil est revenu , et toujours il a été vaincu , vaincu par le sacrifice de la vie, de la vie comme l'hydre , éternellement recommencée .

            Mais les hommes Algues, enorgueillis un jour n'ont pas donné l’offrande. Et pue-la-mort est resté des mois et des mois , dans le ciel horriblement bleu .

Et Les herbes ont séché et les feuilles ont roussi et les arbres ont brulé. Et les hommes atterrés ont offert sur la butte des malédictions , un enfant ,dix enfants, , tous les enfants , les mères et les vieillards . Et le soleil, est resté.

Des années et des années

Et les ruisseaux se sont taris et les rivières ont disparu . Et le refuge salutaire , l'étang profond s’est, à son tour asséché . Dans son gouffre dénudé, les êtres de vie , poissons et mollusques , rats et couleuvres , et les hommes Algues , bientôt sent redevenus poussiéres grises, poussières, impalpables , immémoriales .

Et le vent du temps qui a glissé le long des siècles passés les a emportés.

Et pue-la-mort brille , sauvage , pour l'éternité .

 

 

 

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