LES PAYSANS DE L'OXYGENE

LES PAYSANS DE L'OXYGENE

 

Ils ont recherché les vieux prénoms de leurs vieux terroirs, ils s'appellent tous Gatien, Alphonse Aristide ou Barnabé. Ils roulent de lourdes épaules de cul-terreux ; ils affectent la raideur de hanches des anciens pousseurs de charrue, des bucherons du passé. Tous les Vendredis soirs, ils débarquent, par centaines , des jets venus des zones septentrionales. Pendant quinze jours, à New Las Vegas de Koweit , la ville aux mille casinos , ils vont dépenser sans mesure l'argent gagne dans leurs mines à oxygène , comme ils disent . Ils aiment les vents chauds venus du désert, les pierres sèches où se cachent les lézards, la poussière de sable qui s'incruste dans les pores du visage, le soleil qui brûle le regard.  Ils aiment les grandes ballades en land-rovers , à travers les champs de capteurs solaires , autour des derniers der­ricks , entre les formidables usines du super - concentrat industriel. Ils aiment ; mais pour quinze jours seulement.

C'est avec une réticence simulée qu’ils retournent dans les nouvelles forêts européennes. Ils sont secrètement fiers, eux qu'on appelle les soutiers de la planète. Ils ont poursuivi l'usage de leurs pères qui ont, comme ceux des autres vieux peuples de l’Europe, détruit les vieilles villes de 1’Occident, leurs églises , leurs musées , les châteaux , les tours aux cent étages , cent aéroports , mille autoroutes . Ils ont reboisé  les milliers et les milliers d'hectares que leurs ancêtres avaient, des millénaires durant , patiemment défrichés. Leurs petites maisons dispersées dans les hautes futaies, ils les ont couvertes de vignes –vierges de cent autres plantes grimpantes ils les ont entourées de haies épaisses , ils les ont garnies de fleurs , de plantes vertes. Le moindre espace libre, ils l'ont quadrillé de bosquets feuillus.

Pour toucher la prime à l'oxygène, supplémentaire.

Ils ont fait table rase de la civilisation de leurs ancêtres, ils ont accepté courageusement de créer le troisième poumon de la planète. Mais pas pour rien, mon gars ! Chaque arbre en plus, chaque mètre cube d’oxygène, autant d'argent durement gagné, à mettre à gauche. C'est une race rude et teigneuse agrippée à sa glèbe depuis l'aube des civilisations sédentaires et qui persiste à en extraire sa subsistance et sa fortune.

Et  l’oxygène, dans le monde convalescent de son énorme folie industrielle, ça rapporte gros.

C'est une nécessité vitale pour la planète ; et une source de profit inépuisable pour les peuples forestiers. Les indiens d’Amazonie, les Canadiens sont en position de force. Et maintenant aussi les Vieux Européens Francs , Germains , Britanniques .

Les Théodore , les Geoffrey , les Wolfang repartiront -ils , une fois encore , incorrigiblement , à la conquête du monde ?

 

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