LA POUPÉE DE MA GRAND-MÈRE

LA POUPÉE DE MA GRAND-MÈRE

Cette grand-mère là, je ne l’ai jamais connue puisqu’elle mourut douze ans avant que je ne vinsse au monde. Je ne l’ai jamais vue sinon dans ces images bistres où l’on ne sourit pas. Car l’on garde bonne tenue et la bonne pause chez monsieur le photographe. Ce fut auparavant une petite fille avant que ne fleurisse la Belle Époque. Sa famille était la plus riche, la plus cossue de l’opulent village normand. Elle a du en cadeau, lors de ses jeunes années, recevoir de la main des parents orgueilleux une belle poupée de précieuse porcelaine au rond visage blanc, aux joues rosies, aux grands yeux noirs figés. En ce temps là les poupées ne savaient pas baisser les paupières. Lorsqu’on la couchait elle ne disait pas « maman ». En ce temps là les poupées un peu bébêtes et timides peut être, ne parlaient pas. Sur sa tête, étaient implantées d’épais cheveux roux et dorés qu’on disait achetés à juste prix pour soulager la misère des sauvagesses irlandaises. Elle portait une longue robe de soie au rose élégamment fané, agrémentée de fines dentelles que l’on disait achetées à juste prix pour soulager la pauvreté des laborieuses femmes de Bruges à l’aiguille si adroite. Malgré les doigts gelés par les vents froids du Nord venus et l’humidité montée des canaux sans vie et sans bateaux chargés d’orient. Ses bas étaient de blanche soie. Elle portait de luisantes petites chaussures vernies de noir boutonnées sur le côté d’une pierre d’opaline.

Dans les fatras empilés dans les greniers de la vieille maison on n’a pas retrouvé de poupée. Chineurs et brocanteurs du pays d’Auge, si d’aventure vous possédez un débris, fut-il infime, petit doigt ou éclat de joue rose, de la VRAIE POUPÉE. Ne manquez pas de me l’apporter, je vous le paierai çà juste prix afin que les désirs soient enfin correctement payés de leur trop longue patience.

(19/07/2011)

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